Paroisse ND de Recouvrance

eric e. schmitt

Jours de confinement du 30 oct. au 7 nov. par Eric-Emmanuel Schmitt

Rédigé par Paroisse Publié dans #Eric E. Schmitt

 

Vous valez bien plus qu'une multitude de moineaux ...

8ème jour de confinement : Le retour de l’imprévisible

L’imprévisible est revenu dans nos vies. Le coronavirus qui se répand sur la planète nous ébranle et nous ôte l’illusion de tout maîtriser. Auparavant, nous vivions, nous, humains, avec un sentiment de domination exhaustive, rendue possible par les sciences, les techniques. L’homme régnait, asservissant le sol, le sous-sol, les fleuves, les plantes, les animaux.

J’avais déjà perçu cette chimère lors des fléaux récents, typhons, tempêtes et cyclones : elles ne nous apparaissaient pas seulement horribles, mais scandaleuses, attaquant la civilisation par surprise.

Quelle étrange inversion ! Nous restons des passagers, pas le capitaine. Nous appartenons à un tout ; le tout ne nous appartient pas.

Les catastrophes sont naturelles, c’est nous qui ne le sommes plus.

            Cette pandémie nous rappelle notre fragilité, nous ramène à notre condition, souligne notre essentielle vulnérabilité.

            De cette destitution, j’ai envie de tirer une pensée positive : montrons-nous solidaires, non parce que nous sommes forts, mais parce que nous sommes faibles.

7 novembre

7ème jour : aimable ?

           – Tu es plus gentil avec des inconnus qu’avec moi !

            Qui, parmi nous, n’a pas essuyé ce reproche ? Moi, tout cas, je l’ai reçu, et à chaque fois il me parut toujours injuste, suscité par une stupide jalousie. Quoi ? Me penser plus chaleureux avec eux qu’avec toi, que j’adore, avec qui j’ai décidé de vivre !

Pourtant, l’expérience le révèle, il y a une ombre de vérité dans ce dépit. À force de nous côtoyer, de partager un quotidien rempli d’obligations répétitives, souvent peu palpitantes, nous nous comportons en automates, nous sombrons dans les habitudes et leur grisaille, nous devenons moins vifs, moins attentifs, moins surpris, moins souriants. Nos intimes finissent par en faire les frais, alors que nous les avons choisis — sauf les enfants que nous ne choisissons pas, mais que nous choisissons néanmoins d’accueillir.

Le confinement m’arrache à cette mauvaise pente. Mes proches constituent le monde entier. Je leur offre tout mon temps, tout mon souci, toute ma conversation, tous mes rires. C’est bon, je ne le regrette pas.

Rassurez-vous, je ne me montrerai pas moins affable à l’issue de cette retraite. Je demeurerai aimable en général, mais très aimant en particulier.

6 novembre

6ème jour : Le confinement philosophique

Le confinement libère des angoisses, des peurs : on craint pour sa santé, celle des proches, on s’interroge sur le sens de sa vie, on redoute de ne plus pouvoir assurer sa subsistance, on dresse un bilan de ses forces et de ses fragilités. C’est pénible, mais c’est peut-être aussi utile. Profitons-en pour transformer cette épreuve en expérience philosophique.

Mon penseur préféré, Blaise Pascal, disait que « “tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre”. Sortir nous occupe et nous enrichit, car la rencontre du monde, de la nature, des gens nous fournit une nourriture fondamentale. Cependant cela nous détourne aussi d’autres aventures, plus intérieures, cela nous empêche peut-être de cerner nos gouffres, puis de trouver un pont pour les surmonter.

Profitons de cette obligation pour nous passer au crible. Quelle valeur importe ? Laquelle n’importe pas ? En quoi consiste mon intervention sur terre ? Que puis-je apporter à autrui ? Que puis-je en attendre ? Utilisons cet épisode à distinguer l’essentiel de l’accidentel.

Il y a quelque chose à gagner dans ce confinement forcé si l’on ose s’affronter à soi-même. Cela peut passer par de la colère, de la douleur, de la sidération, de l’effroi, mais l’on se porte toujours mieux de voir plus clair.

Moi qui n’aime rien tant que la lumière, dans l’obscurité de ma chambre, je fais des exercices de clarté.

5 novembre 2020

5ème jour de confinement : Le social et l’intime

Normalement l’espace est séparé : il y a le lieu où nous travaillons, le lieu où nous vivons. L’extérieur et l’intérieur. Chacun n’existe que par l’autre.

Normalement le temps est séparé : il y a le temps qui appartient à notre travail, le temps qui nous appartient. Le social et l’intime. Chacun n’existe que par l’autre.

Or le confinement efface ces limites. Notre appartement devient notre bureau, les soucis domestiques, familiaux, amoureux heurtent les exigences professionnelles.

Nous devons retracer des frontières, sauvegarder la sphère privée. La société, tout en voulant nous protéger, s’introduit chez nous et s’y installe. Non seulement elle nous y enferme, mais elle s’y enferme avec nous pour nous diriger.

Ne soyons pas dupes ! Résistons à l’envahissement. Nos chambres doivent rester un territoire de rêverie, de sexe et d’amour, notre salon un champ de lectures, d’écoutes, et de distractions. Ne laissons pas entrer le virus chez nous, mais ne laissons pas non plus y entrer la société marchande, capitalistique, dévoreuse, obsédée par la performance.

Préservons l’inutile, le splendide inutile.

4 novembre 2020

4ème jour de confinement : Se taire avec les gens qu’on aime

Bien sûr, il y a le téléphone. Bien sûr, il y a le tête-à-tête en vidéo. Bien sûr, je reçois la voix et l’image grâce aux techniques qui assurent un contact à distance. Fort heureusement, je ne suis pas, tel un homme du XVIIIe siècle, condamné à écrire une lettre que la poste à cheval acheminera en une semaine, et dont la réponse m’arrivera une semaine plus tard. Je profite de la communication instantanée.

Mais le son et l’écran ne m’offrent pas mon interlocuteur tout entier, ils le réduisent à un ersatz bidimensionnel et métallique. Un corps est bien davantage qu’une image. La vidéo nous prive de la présence, de la chair, de sa chaleur, de ses vibrations.

Durant ce confinement, ce que me manque, ce n’est pas de parler, mais de me taire avec quelqu’un que j’aime. Laisser palpiter l’émotion entre nous. Permettre aux derniers mots d’occuper pleinement le silence. Partager le moment sans discourir. Toucher une main, une joue. Respirer le même air. Entendre battre nos cœurs dans ce lieu sur la Terre.

Avec mes proches, je le goûte, ce miracle précieux de la rencontre. Et je le goûterai encore mieux, avec le souvenir du manque et la volupté de l’instant, quand le cercle des proches s’élargira de nouveau.

3 novembre 2020

3ème jour de confinement

Avec le lundi, j’avais le vague espoir de retrouver du mouvement, des échanges, des appels, des demandes, des conversations. Oui, j’étais comme un chien qui, depuis la fenêtre, guette le retour de sa famille.

Hélas, tout ralentit. Le téléphone ne crépite pas, les mails circulent à une vitesse de pigeon voyageur, l’urgence souffre de rhumatismes. Nous devons tous prendre tant de précautions pour chacun de nos actes que nous en faisons moins et qu’ils nous fatiguent davantage.

Conclusion ? J’avais tort d’attendre. Attendre, c’était nier ce à quoi le confinement nous oblige : nous limiter.

Il faut que j’apprenne à ne pas épier le retour à la normale, mais à éprouver une autre normalité. Trouver une plénitude dans le vide. Si l’intelligence est la faculté de s’adapter, voilà une tâche pour mon intelligence…

2 novembre 2020

2ème jour de confinement : Le grand Bonheur est fait de petits bonheurs

Mon dimanche normalement retentit d’éclats - voix, rires, portes qui claquent, chiens qui courent, fumets de la cuisine, idées de jeux, discussions pour choisir un film qui durent plus que lui. Ces éclats se sont tus. Nous ne recevrons personne, nous ne rejoindrons personne. Ce dimanche aura une immobilité qu’il faut apprivoiser.

Le confinement me semble un sel qui exhausse le goût de notre existence. Avec le recul auquel il m’oblige, je l’apprécie, cette vie que j’ai provisoirement perdue et que je retrouverai, j’aime les petits riens dont elle est faite qui finissent par constituer un tout.

Certes, la nostalgie me prend parfois à la gorge… alors j’essaie de m’en accommoder et je lui dis : « Merci la nostalgie qui donne le prix des choses. Merci de nous éclairer, d’opérer le tri entre ce qui compte et ce qui ne compte pas. Tu nous offres la lucidité. »

La lucidité s’avère un peu cruelle aujourd’hui ; elle deviendra épanouissement quand je retrouverai mon quotidien. Elle m’épanouit même à l’avance : j’ai rendez-vous.

1er novembre 2020

1er jour de confinement : L’inspiration de la nature

Premier jour de notre confinement. La nature ne semble pas l’avoir compris, elle demeure sereine, évoluant à son rythme, lumineuse, paisible, détachée des agitations humaines. Au milieu d’un azur immaculé, le soleil brille et ses feux se poursuivent sur les feuilles rouges, oranges et jaunes. La douceur de l’air révèle un automne nonchalant, berceur, qui musarde, qui s’attarde, pas encore décidé à devenir hiver.

J’y puise la force d’entreprendre le confinement. Chez les humains, il y a beaucoup de souffrances : souffrance des malades, souffrance des soignants, souffrance de ceux qui s’inquiètent, souffrance de ceux qui cessent leur activité, souffrance de nous tous qui nous enfermons en réduisant nos contacts. Mais la nature aujourd’hui offre son exemple : elle accepte sereinement de mourir chaque automne pour renaître au printemps. Donc, puisque moi aussi je vais être malheureux, je vais tenter d’être sereinement malheureux.

30 octobre 2020

Vous valez bien plus qu'une multitude de moineaux ...

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